Thèse

Parler au féminin. Les professions de foi des député-e-s sous la Cinquième République (1958 - 2007)

[2011-2015 ] Sous la direction de Damon Mayaffre et Jean-Paul Pellegrinetti, financée par une Allocation de recherches de l'Assemblée Nationale

La Cinquième République constitue un moment fort du processus de féminisation de l’Assemblée nationale débutée en 1945. Elues aux élections législatives tenues au scrutin uninominal à partir de 1958, les femmes accèdent de manière inédite au statut de sujet de langue politique. Lors des campagnes électorales qu’elles mènent, pour la première fois en leur nom propre, les nouvelles locutrices composent avec les codes du discours politique, façonnés par hommes, et plus largement avec les contraintes du genre pour formuler une identité, un programme ou une promesse de représentation légitimes.

Comment les femmes, outsiders historiques du champ parlementaire, parviennent-elles à se légitimer et à rallier les suffrages des citoyen-ne-s ? Renouvellent-elles en profondeur le périmètre du débat politique ou sont-elles contraintes de se conformer aux discours dominants ? Existe-t-il des spécificités discursives de l’engagement féminin ? Comment se redéfinissent-elles au fil des importantes mutations sociales et politiques qui traversent le demi-siècle quinto-républicain ?

A partir de l’analyse instrumentée par la statistique et par l’informatique de 700 professions de foi, « l’acte de candidature par excellence », la thèse repère, décompte et interprète les marques et les performances linguistico-politiques du genre qui construisent la place originale et minoritaire des femmes au Palais-Bourbon au fil de douze scrutins législatifs.

Sur l’ensemble d’un demi-siècle, l’analyse révèle dans un premier temps les permanences des ressources mais aussi des contraintes de la langue politique dans la formulation des candidatures aux élections législatives selon le sexe. L’engagement féminin apparaît confiné aux marges du discours républicain contemporain dont les mots et les thèmes forts sont monopolisés par les hommes. Paradoxes des minoritaires, les candidates se trouvent encouragées à formuler une identité conforme aux rôles sociaux des femmes dominants dans la société et dans la sphère privée et à énoncer leur programme sur le mode d’un parler féminin stéréotypé et infra-politique.

Ces tendances structurantes sont, dans un second temps, mises à l’épreuve du temps pour souligner les scansions temporelles propres de l’accès des femmes à l’Hémicycle. Enrichissant et nuançant la chronologie politique contemporaine, la thèse rend compte des originalités de l’histoire politique des femmes en mettant, notamment, en évidence le non-événement inattendu que représentent les élections de 1968 ou de 1981 dans la parole des représentantes de la nation. Sur des rythmes plus longs, la recherche établit et décrit les trois grandes périodes de l’élaboration discursive des figures de députées au carrefour des normes de genre, des profils socio-politiques des élues et des contextes politico-électoraux. Par là, elle dresse un panorama mi-séculaire de l’évolution des rapports entre genre et politique en insistant sur les transformations des féminités légitimes au fil des mutations de la place des femmes dans la société et au Palais-Bourbon en particulier, sept ans après le vote de la parité.

Pluridisciplinaire, la thèse pose et décrypte le genre comme un système de règles ou une « grammaire » qui signifie la partition sexuée, historique et hiérarchisée de l’espace parlementaire et le discours électoral comme l’une de ses traces et l’un de ses agents d’élaboration principaux.